Festival du Cirque de Demain 2024: les couleurs du futur

Avatar Armando Talas

Alors que l’avion approche de l’aéroport de Paris Orly, je contemple le ciel sombre, bleu outremer, où se détache à l’horizon une fine bande incandescente de coucher de soleil; puis la lame brûlante, lentement, de brillante devient rouge foncé, jusqu’à s’éteindre dans le noir.

Paris est toujours une bonne idée. Aller voir “Le Festival du Cirque de Demain”, qui se tient à Paris depuis 1977, en est une en particulier. Il s’agit en effet d’une formidable déclinaison du cirque d’art, de renommée avérée et d’importance historique, où l’on peut admirer les prouesses d’artistes venant du monde entier.

Contrairement à d’autres festivals internationaux, il n’y a pas de numéros avec des animaux, désapprouvés par une part considérable de l’opinion publique, tant en France que dans le reste de l’Europe, et le spectacle est conçu pour ensorceler le public présent: il n’est pas basé sur des logiques télévisuelles, ni autoréférentiel ou principalement destiné aux professionnels. S’il y a une compétition entre les artistes, elle ne se perçoit pas, comme si elle était atténuée par la possibilité de contribuer à la beauté de l’ensemble: autant de coups de pinceau émotionnels différents pour une seule œuvre collective, où chacun a son propre espace d’expression. La technique de cette grande œuvre d’art circassienne est clairement mixte, débridée, surprenante. Il s’agit plus précisément d’un diptyque, de deux tableaux colorés réunis par la charnière du temps: le spectacle A et le spectacle B.

J’ai vu d’abord la partie B, vendredi soir, dans l’immense espace scénique du chapiteau du Cirque Phénix.

Les couleurs expressionnistes d’Anton Manaharov, voltigeur et contorsionniste, m’ont marqué, lui qui est entré en scène avec des chaussures de peinture rouge écarlate, les mains et les avant-bras peints en rouge sang. Ses mouvements et formes m’ont entraîné dans une peinture sinueuse de Munch. Anton semble par moments découpé dans le bois, comme une marionnette animée, par moments une statue de cire mobile. Vraiment un très beau numéro, émotionnellement captivant.

J’ai également retrouvé beaucoup d’art italien. Le duo “Ricce Meticce” a réalisé une suspension capillaire double particulière: les deux artistes ont attaché leur chevelure aux deux extrémités d’une poutre suspendue. Au début, l’esthétique tournoyante était celle voluptueuse d’un tableau de Boldini, mais le numéro est devenu progressivement plus ludique et sombre, jusqu’à devenir une balançoire où ils se sont accrochés par les cheveux; la poutre s’est élevée, emportant les artistes dans les airs, comme les magnifiques sorcières d’un tableau de Goya.

J’aurais déjà été satisfait de l’Italie ainsi, mais ensuite j’ai vu la rue cyr de Marica Marinoni. Je ne cache pas que entendre les paroles d’une chanson des C.S.I. sur cette scène m’a fait un effet à la fois émouvant et déroutant, d’autant plus que pendant que mes yeux étaient captivés par le cercle tournant dans l’espace de Marica, seul dans mon esprit le texte continuait: “Si tu penses faire de moi un idole je me brûlerai, transforme-moi en mégaphone je m’enraillerai”. Non, je ne le ferai pas, mais c’est vraiment une tentation. Soirée mémorable.

La charnière du temps, la journée de samedi, je l’ai passée parmi les beautés éternelles et immobiles du Petit Palais, parmi Les Saltimbanques de Fernando Perez, fatigués du dur labeur, et l’élan immortel de La danseuse Sacha Lyo de Serge Yourievitch.

Puis de nouveau les couleurs du cirque, vives et changeantes. Une première mention va au numéro sculptural de Mukhamadi Sharifzoda, en provenance du Tadjikistan, un verticalisme en équilibre sur un tas de briques précaire et mobile, comme s’il était exécuté sur les ruines d’un bâtiment dans les sables du désert.

Absolument enthousiasmante est la troupe acrobatique nationale de Chine, qui a présenté une jonglerie d’une nouvelle conception, avec des rebonds multiples sur plusieurs plans inclinés, dessinant, avec les rebonds des balles, des formes géométriques abstraites, comme dans un tableau de Kandinsky. Exécution audacieuse, aux limites de l’impossible, qui laisse un sentiment d’absolu.

La soirée s’est terminée avec le cirque The Revel Pucks, en provenance du Royaume-Uni, avec un numéro collectif hilarant sur une rola bola gigantesque, autrement dit une grande planche en équilibre sur un pneu démesuré. La sensation était celle de voir des enfants s’amuser dans une banlieue, entourés d’art urbain. Idée extrêmement créative, résultat magnifique. Vraiment une superbe finale.

Pour conclure, le Festival du Cirque de Demain a dessiné le cirque d’aujourd’hui et, comme toujours, a entrevu, estompé dans les lignes aquarellées de l’imagination, le cirque de demain.